lundi 26 octobre 2015

Une introduction: le voleur de livres




  Insomniaque, je marchais la nuit en suivant le tracé du tramway 3 b longeant les boulevards périphériques est de Paris. Arrivé à la porte de Montreuil, me dirigeant vers la porte de la villette, j’avais décidé d’arrêter. De voler. Parce que j’étais un voleur de livres, eux seuls m’intéressaient. Je ne pourrais pas raconter comment ça a commencé. S’il y a eu un évènement déclencheur, je ne m’en souviens plus. Le fait est qu’au sortir de ma majorité, je m’y suis mis après avoir quitté mes parents et que j’ai continué à m’y adonner, vingt ans durant, jusqu’à cette nuit. La nuit de la rencontre et de ma résolution. Ce n’était pourtant pas par nécessité que je dérobais des ouvrages. Je suis courtier d’assurance dans une agence de la porte de Bagnolet et, vivant seul, sans plus aucun proche, je m’en sors correctement. Ma seule dépense importante avait été l’achat d’une grande bibliothèque en acajou où je déposais mon butin : des livres rangés auparavant dans des cartons se trouvant dans le placard de l’entrée de mon studio. De mon canapé lit, le soir, avant de sortir me promener dans Paris, je les observais se détachant dans la lumière rosée des fins de journées clémentes ou bleuâtre des jours maussades. Je les avais tous choisis et lus. Volés. Celui-là, le Roman inachevé d’Aragon se trouvait, avant d’habiter chez moi, à la devanture d’une librairie rue de la Tombe-Issoire dans le treizième arrondissement. Celui-ci, Le Parfum de Patrick Süskind dans une caisse d’un stand de brocante avenue du Trône dans le vingtième. L’autre à la couverture vermillon et or, une ancienne édition du De la Terre à la Lune de Jules Verne subtilisée dans la bibliothèque de la rue Lecourbe dans le quinzième. Et alors que je ne lis pas en anglais, The Catcher in the Rye de Salinger dérobé dans une des librairies d’occasion du Passage Jouffroy. J’avais fini par apprendre en recherchant la traduction du titre qu’il s’agissait de L’Attrape-cœurs.