dimanche 31 juillet 2016

Au-delà de la verrière




Deuxième épisode de ma série estivale.


   Moi, Pie, à un certain moment, (je vous rappelle que nous, les pigeons, n'avons pas la notion du temps), j’ai ressenti le besoin de partir. Ce n’était pas le fait de mes parents qui ne m’ont jamais fait comprendre que je devrais quitter la verrière familiale (contrairement aux autres pigeons qui incitent leur progéniture à quitter leur nid dès qu’ils peuvent se débrouiller). J’étais heureux avec eux. Une vie paisible sans heurt.

   Je crois que ça a commencé pendant que je scrutais, à travers les panneaux de la verrière de la station Corvisart, et le ciel et les arbres qui se trouvaient aux alentours. Le vent s’était engouffré dans notre coursive grillagée ; il avait amené des drôles d’effluves de ce que j’ai appris à reconnaître plus tard comme l’odeur de branches mouillées. J’étais un peu perturbé. "Mine de rien, tu es toujours dans la lune" avait remarqué un jour ma mère. Cette fois-ci, elle m’avait dit : «  Tu es vraiment dans la lune aujourd’hui. »  Je suis sûr qu’au fond elle savait que je ne tarderais pas à m’en aller. Ses yeux étaient particulièrement brillants ce soir-là comme au bord des larmes ( je réfute l’idée que les pigeons ne pleurent pas). Mon père a seulement roucoulé gravement. Le lendemain, j’ai pris la première rame de métro qui arrivait à la station et je me suis envolé pour la première fois hors de chez nous. Je n’avais aucune idée où cela me mènerait. Je ne soupçonnais pas encore les aventures qui m’attendaient. Un humain peut être en quête de quelque chose ; je l’étais tout autant.


dimanche 24 juillet 2016

Janine, Janet, Debbie et Mumia: des histoires américaines

Peinture de Janet Africa publiée avec l'autorisation de Mme Guillaumaud-Pujol.
 



   « On peut juger du degré de civilisation d’une société en entrant dans ses prisons. » Cette épigraphe extraite des Souvenirs de la maison des morts de Dostoïevski et placée en tête d’un des chapitres du livre En direct du couloir de la mort de Mumia Abu-Jamal n’a cessé de me hanter après sa lecture.

   Ce dernier, journaliste, surnommé «  voix des sans voix », y rend compte de la situation des prisonniers au cœur même de l’enfer du couloir de la mort. Il y est, en effet, détenu suite à une condamnation à mort en 1982 pour le meurtre d’un policier blanc à Philadelphie qui fut commuée, en 2001, en prison à perpétuité, crime pour lequel il a toujours clamé son innocence. J’ai fait la connaissance de l’histoire de cet homme dont le principal combat serait de «  penser, écrire, agir en toute liberté dans ce monde », selon ses propres termes, grâce à Mme Claude Guillaumaud-Pujol dont la biographie Mumia Abu-Jamal, un homme dans le couloir de la mort retrace le parcours d’une manière remarquable. Tout aussi marquant est son essai intitulé Prisons de femmes, Janine, Janet & Debbie, une histoire américaine. L'auteur y dresse un tableau terrifiant de la situation pénitentiaire aux États-Unis: en 2010, ce pays représentait 5% de la population mondiale, mais 25% de la population carcérale rappelle l'introduction. Le livre nous apprend ensuite que le pourcentage de femmes noires en prison peut atteindre 10% dans les prisons d'état. Janine, Janet et Debbie dont l'auteur évoque l'histoire sont emblématiques de l'iniquité pouvant frapper cette partie de la population américaine. Faisant partie du mouvement utopiste afro-américain Move fondé par John Africa, qui dénonce les travers de la société de consommation et revendique l'égalité pour tous, elles sont arrêtées pour avoir participé au meurtre d'un policier blanc et condamnées en 1978 de trente à cent ans de prison pour un crime qu'elles ont toujours nié avoir commis. Leur demande de libération conditionnelle a été rejetée cette année et elles devront attendre deux ans pour un nouvel examen de leur requête.
   Mme Guillaumaud-Pujol, universitaire spécialiste des États-Unis, réussit à donner à ces froides statistiques une incarnation humaine à travers le récit des vies de ces quatre prisonniers américains auxquels elle a consacré ses études et pour la libération desquels elle continue de militer au sein du Collectif Libérons Mumia Abu-Jamal. Ses livres sont de véritables plaidoyers pour une réforme des systèmes judiciaire et carcéral aux États-Unis.
 
Janet, Janine, Debbie, Claude Guillaumaud-Pujol, des amis et des membres du Collectif.
 

dimanche 17 juillet 2016

De mon toit



J'entame une série estivale sur un personnage qui avait fait son apparition dans ma vie il y a trois ans à l'occasion d'un scénario de micro-métrage que j'avais rédigé pour un atelier cinéma. Voici ce qu'il a à vous dire.




Le jour se lève. Une brume légère recouvre tous les bâtiments. Seuls émergent les bulbes meringués du Sacré-Cœur, l’Arc de Triomphe qui rayonne comme un astre et les arabesques bleues du Centre Pompidou. Ce panorama se déploie devant moi du toit de mon immeuble de l’avenue Georges Bernanos. J’aime toujours commencer ma journée en observant ma ville, Paris. J’y suis né, j’y vis, j’y mourrais. Enfin, j’espère que la dernière hypothèse ne se réalisera que dans un futur le plus lointain possible. Il faut dire que je suis encore jeune, enfin je crois bien, parce que je ne connais pas mon âge. Mais j’ai encore mes parents ce qui tendrait à prouver que je ne suis pas si vieux que ça non plus. Quand je descendrai dans la rue tout à l’heure, je demanderai peut-être aux autres quel âge ils me donnent. Si ça se passe comme d’habitude, je pense qu’ils n’auront pas le temps de m’écouter. Le plus souvent, ils sont trop occupés à picorer ou à se précipiter sur de la nourriture dès que l’un d’eux en a trouvé. Je devrais peut-être poser directement la question à mes parents qui nichent dans la verrière de la station de métro Corvisart. Ils y habitent depuis très longtemps. Mais je ne sais pas exactement depuis quand ; on n’a pas vraiment la notion du temps dans la famille.
Il faut juste qu’ils ne soient pas partis rejoindre leurs amis qui nichent sur le rebord d’un des immeubles en face de la prison de la santé ; ils y vont une fois par semaine. Un passant, pas trop pressé, en levant la tête, pourrait voir une rangée de pigeons gris et noir, hirsutes, serrés les uns contre les autres. Ils se racontent sans doute des histoires de leur pays natal. Parce que je suis né à Paris mais mes parents sont nés ailleurs. Ils ont longtemps voyagé avant d’arriver ici, traversé une mer, erré à travers quelques villes et, dans l’une d’elles, se sont rencontrés pour ne plus se quitter. Ils n’ont pas une très bonne mémoire des noms de lieux. Ils ne leur reste le plus souvent que des souvenirs physiques : leurs ailes endolories, leurs gosiers asséchés, leurs cous meurtris par la grêle, à la fin du vol le plus long de leur vie. Leurs plumes frissonnent et leurs becs s’entrechoquent encore lorsqu’ils m’en parlent. Je peux leur parler à mes parents. Je veux dire je peux vraiment leur parler. Je peux leur parler comme vous, et par vous, j’entends les humains. Mes parents m’ont dit qu’ils avaient appris ce langage chez une vieille dame qui les avait recueillis. Mais ils m’ont avoué que cela leur avait causé, mine de rien, bien des soucis. Ils me l’ont quand même enseigné parce qu’ils pensaient que cela pourrait peut-être me servir plus tard mais j’avais intérêt à ne pas trop l’ébruiter auprès de mes congénères qui pourraient en être jaloux. Je crois qu’ils avaient eux-mêmes trop soufferts de cette connaissance. Enfin, surtout ma mère qui avait soif d’éducation ; mon père s’en servait surtout pour obtenir de la nourriture de la part des humains. Il réussissait à nous ramener une variété de mets incroyable. Pas qu’une sorte de pain, des biscuits, des biscottes mais aussi des pâtisseries. C’est là que je me suis rendu compte de mes préférences alimentaires. Les gâteaux. Des miettes d’éclair, de mille-feuille, de tarte aux poires ou aux pommes, de baba, de pain d’épices, de moelleux au chocolat. J’étais ce que les humains appellent un bec sucré. Mes parents m’ont appelé Pie parce que, selon eux, prononcé en français, c’est un diminutif de pigeon et, pour ceux qui connaissent l’anglais, ça désigne un gâteau ou une tourte.


dimanche 3 juillet 2016

La Nuit




"Sometimes I am asked if I know " the response to Auschwitz"; I answer that only do I not know it, but that I don't even know if a tragedy of this magnitude has a response. What I do know is that there is "response" in responsability. When we speak of this era of evil and darkness, so close and yet so distant, " responsability" is the key word.
The witness has forced himself to testify. For the youth of today, for the children who will be born tomorrow. He does not want his past to become their future. "


Elie Wiesel.
RIP.

J'ai rencontré La nuit il y a quatre ans à Dachau près de Munich où j'effectuais un voyage. Laissant derrière moi la somptueuse intranquillité de la ville bavaroise, j'ai pris un train de banlieue pour Dachau. Au sortir de la gare, des panneaux pointent le lieu. Une navette est prévue. Nous embarquons comme des touristes pour un lieu d'attraction. Comme si nous entrions dans une propriété grandiose, d'énormes grilles sont ouvertes et nous marchons sur du petit gravier blanc. Après le premier tournant, un commencement de rails. Le soleil brille et l'air est si doux. Surgit alors en fer forgé l'inscription ARBEIT MACHT FREI. Derrière, une rangée de baraquements, une énorme étendue se déploie encadrée par des allées avec toujours ce gravier blanc, tout au bout un bâtiment imposant où les prisonniers transitaient. A sa droite, passé un petit pont, d'autres édifices de petite taille occupés par les fours. Mon esprit n'arrive pas à appréhender la matérialité de ce que je vois, ces instruments, et l'utilisation qui en a été faite. Et le ciel toujours éclatant surplombe l'incompréhensible, l'innommable, la banalité du mal.