jeudi 25 août 2016

Mine de rien





Cinquième épisode de ma série estivale.



   Je me suis vite ressaisi après son départ. Dans la place jusque-là déserte, est apparue une vieille dame presque courbée en deux qui a sorti de son cabas un sac en plastique, a plongé la main dedans, et a éparpillé des miettes de pain comme un magicien peut semer des confettis. J’avais entendu parler de ce tour par mes parents, mes congénères aussi parce qu’une nuée d’entre eux qui se prélassaient dans la fontaine l’a soudain cernée. Ils se sont mis à picorer comme si leur vie en dépendait, mine de rien, aurait rajouté ma mère. Je les ai observés un moment absorbés par leur pitance, se bousculant, se piétinant, se dépêchant pour ne pas rater le moindre morceau. Ils m’ont fait penser aux pauvres humains fonçant dans le métro. Impossible de les arrêter, impossible de leur parler. Je les ai laissés entre eux, un dernier regard sur eux avant de sortir moi aussi de la place. Au bout d’un certain temps, je me suis engagé dans une série de rues et des ruelles, alternance de forêts de chaussures et de plaines silencieuses. Lorsque la cloche a sonné 8H, je me suis engagé dans une rue déserte dont les lampadaires encore allumés lui donnait un aspect irréel. Je ne savais pas encore quelle vision étrange m’attendait.


lundi 15 août 2016

La place



Quatrième épisode de ma série estivale.


   L’homme à l’harmonica avait plongé dans la foule mais la taille imposante de son crâne et sa chevelure bicolore m'avait d'abord permis de ne pas le perdre de vue. J’ai continué à avancer au milieu d’encore plus de pieds trépignants et sautillants autour de moi (Je ne pensais pas que ça pouvait être possible). J’essayais juste de ne pas me faire écraser. Petit à petit la forêt de pieds s’est faite plus clairsemée, une paire de chaussures ou deux de loin en loin. L’homme à l’harmonica, qui avait ensuite presque disparu en se transformant en un point à l’horizon, est redevenu une silhouette, une figure et enfin des bottines vertes vernies. On était sur une place avec deux bancs face à face. Il s’est assis sur l’un d'eux et m’a fait signe de monter le rejoindre.

– Avant de commencer ma journée de travail, il fallait que je vous parle. Je vous ai vu désemparé tout à l’heure dans le métro. J’ai l’habitude de regarder autour de moi plutôt que, hem hem, foncer droit devant moi. Le métro a ses charmes que le commun des mortels ne perçoit pas. J’ai l’impression, dites-moi si je me trompe, que vous êtes un nouveau venu dans cette ville, que vous n’y êtes pas encore initié. Moi qui y habite depuis une quarantaine d’années, la connaît comme loup blanc, je dois vous mettre en garde contre certaines pratiques, certains lieux. Peut-être ce que je vais vous dire vous servira-t-il d’avertissement avant que vous entriez dans le monde. Du fait de mon âge, j’ai vu beaucoup de hem situations humaines hem différentes. Il faut dire que mon métier m’a également permis de voir bien du monde. Je suis perruquier. J’en ai vu défiler des têtes et des cheveux. Réalisez un postiche et vous connaîtrez l’âme de votre client avait l’habitude de dire mon père. Ah le paternel, il  nous a quitté il y a vingt ans mais ce qu’il m’a légué comme pensées reste gravé dans ma mémoire. Mais je dois avouer que j’ai beaucoup parlé et l’heure tourne, vous devez commencer vos aventures et moi partir travailler. Différents lieux, différentes mœurs… Gardez en mémoire la complexité de la nature humaine. Certaines personnes mauvaises sont celles-là même qui peuvent vous étonner en ayant des éclairs de bonté et des gens qui vous paraissent bonnes peuvent être celles par qui la trahison peut venir. Bonne route jeune être !

  Après ce discours qui n’avait pas eu le temps de m’ennuyer mais qui m’avait laissé pantois, il s’est levé brusquement du banc et est parti à grandes enjambées hors de la place.  J’ai eu juste le temps d‘entendre la fin de ses paroles : "devrais déjà être arrivé…"


lundi 8 août 2016

Les mille pieds





Troisième épisode de ma série estivale.
 

   Je suis descendu à la station Denfert-Rochereau. Le nom me plaisait bien, il sonnait comme celui d’un savoureux gâteau. J’ai suivi la foule. Des paires de pieds par centaines trépignants, sautillants, traînants, devant moi, derrière moi, autour de moi. Je commençais sérieusement à regretter d’avoir quitté la verrière. C’était un défilé qui n’en finissait pas aux accords d’un violon égrenant un air frénétique.  Au bout d’un long couloir, à la croisée des chemins, les gens me bousculaient; ils ne me voyaient pas. Ils semblaient juste obéir à un rythme qui leur aurait dit : en retard, vous êtes en retard (J’avais déjà entendu cette parole quelque part). Je réfléchissais à tout ça tout en hésitant sur la direction à prendre lorsque j’ai entendu une voix retentir au milieu du brouhaha : « Vous ! Vous ! » Un homme vêtu tout en noir et à la chevelure bicolore : noire du sommet jusqu’au milieu de la tête et blanche en dessous pointait le doigt dans ma direction. Je le scrutais pour essayer de voir l’humain qu’il essayait d’interpeller. Mes pattes ont presque été piétinées pendant ce temps-là. Il a soudain à nouveau répété : « Vous ! Vous ! » J’ai jeté un coup d’œil en arrière, sur les côtés mais parmi tous ces gens, ces mille pieds aucun ne semblait vraiment concerné. Je me suis figé lorsque j’ai entendu soudain : « Oui, vous qui vous êtes arrêté à la croisée des chemins, oui, vous jeune être, en proie au doute. »
   J’étais embarrassé alors j’ai levé la tête vers le plafond mais, à part quelques chewing-gums qui y étaient collés, je n’arrivais pas à envisager que quelqu’un s’adresse à moi. J’ai voulu lui répondre quelque chose mais les mots qui se bousculaient dans mon esprit se sont pétrifiés. C’était la première fois que j’essayais de parler à un humain et qu’un humain me remarquait et voulait communiquer avec moi. Il n’a pas eu l’air d’être contrarié par mon silence. Je me suis rappelé de ce que ma mère m’avait dit au sujet des humains ; ils peuvent s’emporter pour un rien et nous pourchasser surtout les plus petits d’entre eux. Fais attention à eux mine de rien. Au contraire, celui-ci n’avait pas l’air de m’être hostile. Comme il a vu sans doute que je ne bougeais pas et que je n’arrivais toujours pas à parler, il a sorti un harmonica et a joué, ce qui lui a valu quelques pièces de monnaie, puis il m’a dit : « Suivez-moi, on ne s’entend pas ici. » Il m’a fait un signe de la main et je suis parti derrière lui.