lundi 15 août 2016

La place



Quatrième épisode de ma série estivale.


   L’homme à l’harmonica avait plongé dans la foule mais la taille imposante de son crâne et sa chevelure bicolore m'avait d'abord permis de ne pas le perdre de vue. J’ai continué à avancer au milieu d’encore plus de pieds trépignants et sautillants autour de moi (Je ne pensais pas que ça pouvait être possible). J’essayais juste de ne pas me faire écraser. Petit à petit la forêt de pieds s’est faite plus clairsemée, une paire de chaussures ou deux de loin en loin. L’homme à l’harmonica, qui avait ensuite presque disparu en se transformant en un point à l’horizon, est redevenu une silhouette, une figure et enfin des bottines vertes vernies. On était sur une place avec deux bancs face à face. Il s’est assis sur l’un d'eux et m’a fait signe de monter le rejoindre.

– Avant de commencer ma journée de travail, il fallait que je vous parle. Je vous ai vu désemparé tout à l’heure dans le métro. J’ai l’habitude de regarder autour de moi plutôt que, hem hem, foncer droit devant moi. Le métro a ses charmes que le commun des mortels ne perçoit pas. J’ai l’impression, dites-moi si je me trompe, que vous êtes un nouveau venu dans cette ville, que vous n’y êtes pas encore initié. Moi qui y habite depuis une quarantaine d’années, la connaît comme loup blanc, je dois vous mettre en garde contre certaines pratiques, certains lieux. Peut-être ce que je vais vous dire vous servira-t-il d’avertissement avant que vous entriez dans le monde. Du fait de mon âge, j’ai vu beaucoup de hem situations humaines hem différentes. Il faut dire que mon métier m’a également permis de voir bien du monde. Je suis perruquier. J’en ai vu défiler des têtes et des cheveux. Réalisez un postiche et vous connaîtrez l’âme de votre client avait l’habitude de dire mon père. Ah le paternel, il  nous a quitté il y a vingt ans mais ce qu’il m’a légué comme pensées reste gravé dans ma mémoire. Mais je dois avouer que j’ai beaucoup parlé et l’heure tourne, vous devez commencer vos aventures et moi partir travailler. Différents lieux, différentes mœurs… Gardez en mémoire la complexité de la nature humaine. Certaines personnes mauvaises sont celles-là même qui peuvent vous étonner en ayant des éclairs de bonté et des gens qui vous paraissent bonnes peuvent être celles par qui la trahison peut venir. Bonne route jeune être !

  Après ce discours qui n’avait pas eu le temps de m’ennuyer mais qui m’avait laissé pantois, il s’est levé brusquement du banc et est parti à grandes enjambées hors de la place.  J’ai eu juste le temps d‘entendre la fin de ses paroles : "devrais déjà être arrivé…"


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