dimanche 25 septembre 2016

A picture







The seagulls land on the sand, hop till they gather forming a quincunx facing the sea. Their beaks gape but no sound comes out. The waves mount reaching their feet. A woman in a scarlet raincoat with a small fluffy white dog approaches. They stay at a distance mindful of the secret ceremony. A gust of wind endows the birds with tufts and almost lift them all up to vanish into thick air. I see them through my lens slightly overlooking my newly found subjects as I stand on a big black rock near the peer. The light is perfect just after the sun has risen. The seagulls and the woman and her dog as subjects of my picture? Or the luminescent cloudy sky? I step back to attempt a capture. Comes then in my scope an elderly man sitting a little below me. I put my focus on him: his image blurry at first becomes distinct: he is smiling, a thin mysterious smile. I click.  


jeudi 25 août 2016

Mine de rien





Cinquième épisode de ma série estivale.



   Je me suis vite ressaisi après son départ. Dans la place jusque-là déserte, est apparue une vieille dame presque courbée en deux qui a sorti de son cabas un sac en plastique, a plongé la main dedans, et a éparpillé des miettes de pain comme un magicien peut semer des confettis. J’avais entendu parler de ce tour par mes parents, mes congénères aussi parce qu’une nuée d’entre eux qui se prélassaient dans la fontaine l’a soudain cernée. Ils se sont mis à picorer comme si leur vie en dépendait, mine de rien, aurait rajouté ma mère. Je les ai observés un moment absorbés par leur pitance, se bousculant, se piétinant, se dépêchant pour ne pas rater le moindre morceau. Ils m’ont fait penser aux pauvres humains fonçant dans le métro. Impossible de les arrêter, impossible de leur parler. Je les ai laissés entre eux, un dernier regard sur eux avant de sortir moi aussi de la place. Au bout d’un certain temps, je me suis engagé dans une série de rues et des ruelles, alternance de forêts de chaussures et de plaines silencieuses. Lorsque la cloche a sonné 8H, je me suis engagé dans une rue déserte dont les lampadaires encore allumés lui donnait un aspect irréel. Je ne savais pas encore quelle vision étrange m’attendait.


lundi 15 août 2016

La place



Quatrième épisode de ma série estivale.


   L’homme à l’harmonica avait plongé dans la foule mais la taille imposante de son crâne et sa chevelure bicolore m'avait d'abord permis de ne pas le perdre de vue. J’ai continué à avancer au milieu d’encore plus de pieds trépignants et sautillants autour de moi (Je ne pensais pas que ça pouvait être possible). J’essayais juste de ne pas me faire écraser. Petit à petit la forêt de pieds s’est faite plus clairsemée, une paire de chaussures ou deux de loin en loin. L’homme à l’harmonica, qui avait ensuite presque disparu en se transformant en un point à l’horizon, est redevenu une silhouette, une figure et enfin des bottines vertes vernies. On était sur une place avec deux bancs face à face. Il s’est assis sur l’un d'eux et m’a fait signe de monter le rejoindre.

– Avant de commencer ma journée de travail, il fallait que je vous parle. Je vous ai vu désemparé tout à l’heure dans le métro. J’ai l’habitude de regarder autour de moi plutôt que, hem hem, foncer droit devant moi. Le métro a ses charmes que le commun des mortels ne perçoit pas. J’ai l’impression, dites-moi si je me trompe, que vous êtes un nouveau venu dans cette ville, que vous n’y êtes pas encore initié. Moi qui y habite depuis une quarantaine d’années, la connaît comme loup blanc, je dois vous mettre en garde contre certaines pratiques, certains lieux. Peut-être ce que je vais vous dire vous servira-t-il d’avertissement avant que vous entriez dans le monde. Du fait de mon âge, j’ai vu beaucoup de hem situations humaines hem différentes. Il faut dire que mon métier m’a également permis de voir bien du monde. Je suis perruquier. J’en ai vu défiler des têtes et des cheveux. Réalisez un postiche et vous connaîtrez l’âme de votre client avait l’habitude de dire mon père. Ah le paternel, il  nous a quitté il y a vingt ans mais ce qu’il m’a légué comme pensées reste gravé dans ma mémoire. Mais je dois avouer que j’ai beaucoup parlé et l’heure tourne, vous devez commencer vos aventures et moi partir travailler. Différents lieux, différentes mœurs… Gardez en mémoire la complexité de la nature humaine. Certaines personnes mauvaises sont celles-là même qui peuvent vous étonner en ayant des éclairs de bonté et des gens qui vous paraissent bonnes peuvent être celles par qui la trahison peut venir. Bonne route jeune être !

  Après ce discours qui n’avait pas eu le temps de m’ennuyer mais qui m’avait laissé pantois, il s’est levé brusquement du banc et est parti à grandes enjambées hors de la place.  J’ai eu juste le temps d‘entendre la fin de ses paroles : "devrais déjà être arrivé…"


lundi 8 août 2016

Les mille pieds





Troisième épisode de ma série estivale.
 

   Je suis descendu à la station Denfert-Rochereau. Le nom me plaisait bien, il sonnait comme celui d’un savoureux gâteau. J’ai suivi la foule. Des paires de pieds par centaines trépignants, sautillants, traînants, devant moi, derrière moi, autour de moi. Je commençais sérieusement à regretter d’avoir quitté la verrière. C’était un défilé qui n’en finissait pas aux accords d’un violon égrenant un air frénétique.  Au bout d’un long couloir, à la croisée des chemins, les gens me bousculaient; ils ne me voyaient pas. Ils semblaient juste obéir à un rythme qui leur aurait dit : en retard, vous êtes en retard (J’avais déjà entendu cette parole quelque part). Je réfléchissais à tout ça tout en hésitant sur la direction à prendre lorsque j’ai entendu une voix retentir au milieu du brouhaha : « Vous ! Vous ! » Un homme vêtu tout en noir et à la chevelure bicolore : noire du sommet jusqu’au milieu de la tête et blanche en dessous pointait le doigt dans ma direction. Je le scrutais pour essayer de voir l’humain qu’il essayait d’interpeller. Mes pattes ont presque été piétinées pendant ce temps-là. Il a soudain à nouveau répété : « Vous ! Vous ! » J’ai jeté un coup d’œil en arrière, sur les côtés mais parmi tous ces gens, ces mille pieds aucun ne semblait vraiment concerné. Je me suis figé lorsque j’ai entendu soudain : « Oui, vous qui vous êtes arrêté à la croisée des chemins, oui, vous jeune être, en proie au doute. »
   J’étais embarrassé alors j’ai levé la tête vers le plafond mais, à part quelques chewing-gums qui y étaient collés, je n’arrivais pas à envisager que quelqu’un s’adresse à moi. J’ai voulu lui répondre quelque chose mais les mots qui se bousculaient dans mon esprit se sont pétrifiés. C’était la première fois que j’essayais de parler à un humain et qu’un humain me remarquait et voulait communiquer avec moi. Il n’a pas eu l’air d’être contrarié par mon silence. Je me suis rappelé de ce que ma mère m’avait dit au sujet des humains ; ils peuvent s’emporter pour un rien et nous pourchasser surtout les plus petits d’entre eux. Fais attention à eux mine de rien. Au contraire, celui-ci n’avait pas l’air de m’être hostile. Comme il a vu sans doute que je ne bougeais pas et que je n’arrivais toujours pas à parler, il a sorti un harmonica et a joué, ce qui lui a valu quelques pièces de monnaie, puis il m’a dit : « Suivez-moi, on ne s’entend pas ici. » Il m’a fait un signe de la main et je suis parti derrière lui.

 

dimanche 31 juillet 2016

Au-delà de la verrière




Deuxième épisode de ma série estivale.


   Moi, Pie, à un certain moment, (je vous rappelle que nous, les pigeons, n'avons pas la notion du temps), j’ai ressenti le besoin de partir. Ce n’était pas le fait de mes parents qui ne m’ont jamais fait comprendre que je devrais quitter la verrière familiale (contrairement aux autres pigeons qui incitent leur progéniture à quitter leur nid dès qu’ils peuvent se débrouiller). J’étais heureux avec eux. Une vie paisible sans heurt.

   Je crois que ça a commencé pendant que je scrutais, à travers les panneaux de la verrière de la station Corvisart, et le ciel et les arbres qui se trouvaient aux alentours. Le vent s’était engouffré dans notre coursive grillagée ; il avait amené des drôles d’effluves de ce que j’ai appris à reconnaître plus tard comme l’odeur de branches mouillées. J’étais un peu perturbé. "Mine de rien, tu es toujours dans la lune" avait remarqué un jour ma mère. Cette fois-ci, elle m’avait dit : «  Tu es vraiment dans la lune aujourd’hui. »  Je suis sûr qu’au fond elle savait que je ne tarderais pas à m’en aller. Ses yeux étaient particulièrement brillants ce soir-là comme au bord des larmes ( je réfute l’idée que les pigeons ne pleurent pas). Mon père a seulement roucoulé gravement. Le lendemain, j’ai pris la première rame de métro qui arrivait à la station et je me suis envolé pour la première fois hors de chez nous. Je n’avais aucune idée où cela me mènerait. Je ne soupçonnais pas encore les aventures qui m’attendaient. Un humain peut être en quête de quelque chose ; je l’étais tout autant.


dimanche 24 juillet 2016

Janine, Janet, Debbie et Mumia: des histoires américaines

Peinture de Janet Africa publiée avec l'autorisation de Mme Guillaumaud-Pujol.
 



   « On peut juger du degré de civilisation d’une société en entrant dans ses prisons. » Cette épigraphe extraite des Souvenirs de la maison des morts de Dostoïevski et placée en tête d’un des chapitres du livre En direct du couloir de la mort de Mumia Abu-Jamal n’a cessé de me hanter après sa lecture.

   Ce dernier, journaliste, surnommé «  voix des sans voix », y rend compte de la situation des prisonniers au cœur même de l’enfer du couloir de la mort. Il y est, en effet, détenu suite à une condamnation à mort en 1982 pour le meurtre d’un policier blanc à Philadelphie qui fut commuée, en 2001, en prison à perpétuité, crime pour lequel il a toujours clamé son innocence. J’ai fait la connaissance de l’histoire de cet homme dont le principal combat serait de «  penser, écrire, agir en toute liberté dans ce monde », selon ses propres termes, grâce à Mme Claude Guillaumaud-Pujol dont la biographie Mumia Abu-Jamal, un homme dans le couloir de la mort retrace le parcours d’une manière remarquable. Tout aussi marquant est son essai intitulé Prisons de femmes, Janine, Janet & Debbie, une histoire américaine. L'auteur y dresse un tableau terrifiant de la situation pénitentiaire aux États-Unis: en 2010, ce pays représentait 5% de la population mondiale, mais 25% de la population carcérale rappelle l'introduction. Le livre nous apprend ensuite que le pourcentage de femmes noires en prison peut atteindre 10% dans les prisons d'état. Janine, Janet et Debbie dont l'auteur évoque l'histoire sont emblématiques de l'iniquité pouvant frapper cette partie de la population américaine. Faisant partie du mouvement utopiste afro-américain Move fondé par John Africa, qui dénonce les travers de la société de consommation et revendique l'égalité pour tous, elles sont arrêtées pour avoir participé au meurtre d'un policier blanc et condamnées en 1978 de trente à cent ans de prison pour un crime qu'elles ont toujours nié avoir commis. Leur demande de libération conditionnelle a été rejetée cette année et elles devront attendre deux ans pour un nouvel examen de leur requête.
   Mme Guillaumaud-Pujol, universitaire spécialiste des États-Unis, réussit à donner à ces froides statistiques une incarnation humaine à travers le récit des vies de ces quatre prisonniers américains auxquels elle a consacré ses études et pour la libération desquels elle continue de militer au sein du Collectif Libérons Mumia Abu-Jamal. Ses livres sont de véritables plaidoyers pour une réforme des systèmes judiciaire et carcéral aux États-Unis.
 
Janet, Janine, Debbie, Claude Guillaumaud-Pujol, des amis et des membres du Collectif.
 

dimanche 17 juillet 2016

De mon toit



J'entame une série estivale sur un personnage qui avait fait son apparition dans ma vie il y a trois ans à l'occasion d'un scénario de micro-métrage que j'avais rédigé pour un atelier cinéma. Voici ce qu'il a à vous dire.




Le jour se lève. Une brume légère recouvre tous les bâtiments. Seuls émergent les bulbes meringués du Sacré-Cœur, l’Arc de Triomphe qui rayonne comme un astre et les arabesques bleues du Centre Pompidou. Ce panorama se déploie devant moi du toit de mon immeuble de l’avenue Georges Bernanos. J’aime toujours commencer ma journée en observant ma ville, Paris. J’y suis né, j’y vis, j’y mourrais. Enfin, j’espère que la dernière hypothèse ne se réalisera que dans un futur le plus lointain possible. Il faut dire que je suis encore jeune, enfin je crois bien, parce que je ne connais pas mon âge. Mais j’ai encore mes parents ce qui tendrait à prouver que je ne suis pas si vieux que ça non plus. Quand je descendrai dans la rue tout à l’heure, je demanderai peut-être aux autres quel âge ils me donnent. Si ça se passe comme d’habitude, je pense qu’ils n’auront pas le temps de m’écouter. Le plus souvent, ils sont trop occupés à picorer ou à se précipiter sur de la nourriture dès que l’un d’eux en a trouvé. Je devrais peut-être poser directement la question à mes parents qui nichent dans la verrière de la station de métro Corvisart. Ils y habitent depuis très longtemps. Mais je ne sais pas exactement depuis quand ; on n’a pas vraiment la notion du temps dans la famille.
Il faut juste qu’ils ne soient pas partis rejoindre leurs amis qui nichent sur le rebord d’un des immeubles en face de la prison de la santé ; ils y vont une fois par semaine. Un passant, pas trop pressé, en levant la tête, pourrait voir une rangée de pigeons gris et noir, hirsutes, serrés les uns contre les autres. Ils se racontent sans doute des histoires de leur pays natal. Parce que je suis né à Paris mais mes parents sont nés ailleurs. Ils ont longtemps voyagé avant d’arriver ici, traversé une mer, erré à travers quelques villes et, dans l’une d’elles, se sont rencontrés pour ne plus se quitter. Ils n’ont pas une très bonne mémoire des noms de lieux. Ils ne leur reste le plus souvent que des souvenirs physiques : leurs ailes endolories, leurs gosiers asséchés, leurs cous meurtris par la grêle, à la fin du vol le plus long de leur vie. Leurs plumes frissonnent et leurs becs s’entrechoquent encore lorsqu’ils m’en parlent. Je peux leur parler à mes parents. Je veux dire je peux vraiment leur parler. Je peux leur parler comme vous, et par vous, j’entends les humains. Mes parents m’ont dit qu’ils avaient appris ce langage chez une vieille dame qui les avait recueillis. Mais ils m’ont avoué que cela leur avait causé, mine de rien, bien des soucis. Ils me l’ont quand même enseigné parce qu’ils pensaient que cela pourrait peut-être me servir plus tard mais j’avais intérêt à ne pas trop l’ébruiter auprès de mes congénères qui pourraient en être jaloux. Je crois qu’ils avaient eux-mêmes trop soufferts de cette connaissance. Enfin, surtout ma mère qui avait soif d’éducation ; mon père s’en servait surtout pour obtenir de la nourriture de la part des humains. Il réussissait à nous ramener une variété de mets incroyable. Pas qu’une sorte de pain, des biscuits, des biscottes mais aussi des pâtisseries. C’est là que je me suis rendu compte de mes préférences alimentaires. Les gâteaux. Des miettes d’éclair, de mille-feuille, de tarte aux poires ou aux pommes, de baba, de pain d’épices, de moelleux au chocolat. J’étais ce que les humains appellent un bec sucré. Mes parents m’ont appelé Pie parce que, selon eux, prononcé en français, c’est un diminutif de pigeon et, pour ceux qui connaissent l’anglais, ça désigne un gâteau ou une tourte.


dimanche 3 juillet 2016

La Nuit




"Sometimes I am asked if I know " the response to Auschwitz"; I answer that only do I not know it, but that I don't even know if a tragedy of this magnitude has a response. What I do know is that there is "response" in responsability. When we speak of this era of evil and darkness, so close and yet so distant, " responsability" is the key word.
The witness has forced himself to testify. For the youth of today, for the children who will be born tomorrow. He does not want his past to become their future. "


Elie Wiesel.
RIP.

J'ai rencontré La nuit il y a quatre ans à Dachau près de Munich où j'effectuais un voyage. Laissant derrière moi la somptueuse intranquillité de la ville bavaroise, j'ai pris un train de banlieue pour Dachau. Au sortir de la gare, des panneaux pointent le lieu. Une navette est prévue. Nous embarquons comme des touristes pour un lieu d'attraction. Comme si nous entrions dans une propriété grandiose, d'énormes grilles sont ouvertes et nous marchons sur du petit gravier blanc. Après le premier tournant, un commencement de rails. Le soleil brille et l'air est si doux. Surgit alors en fer forgé l'inscription ARBEIT MACHT FREI. Derrière, une rangée de baraquements, une énorme étendue se déploie encadrée par des allées avec toujours ce gravier blanc, tout au bout un bâtiment imposant où les prisonniers transitaient. A sa droite, passé un petit pont, d'autres édifices de petite taille occupés par les fours. Mon esprit n'arrive pas à appréhender la matérialité de ce que je vois, ces instruments, et l'utilisation qui en a été faite. Et le ciel toujours éclatant surplombe l'incompréhensible, l'innommable, la banalité du mal.

samedi 18 juin 2016

Une pierre blanche




Mon envie de ce soir de lapider, enrager, tonner, injurier, je te laisse t'envoler.
D'une pierre blanche plutôt je voudrais marquer le souvenir:
De ceux qui vous écoutent sans bailler.
De ceux qui savent être drôles sans ironie ni rire aux dépens de.
De ceux qui ne se plaignent jamais malgré les cercles des enfers traversés.
De ceux qui font des actes héroïques quotidiens parce qu'il fallait juste le faire.
De ceux qui prouvent leur tolérance.
De ceux pour qui l'autre n'est jamais lointain.
De ceux qui ont une passion et vous en parlent éblouis.
De ceux qui ont des paradis non artificiels.
De ceux qui lisent pour vivre.
De ceux qui réussissent à voir la poutre dans leur œil.
A tous ceux-là une pierre blanche pour bâtir un monument d'admiration.





samedi 11 juin 2016

Nostalgia: Les derniers jours du disco




Episode 3 de la série Réceptions transartistiques.

   Avec Les derniers jours du disco, roman de Whit Stillman, j'ai eu affaire à un cas inédit: une œuvre littéraire transposant l'univers du film éponyme du même auteur. Il est en général beaucoup question d'adaptations de livres par le cinéma mais que se passe t-il lorsqu'un récit se présente comme la transposition d'un film?

   Ce phénomène étrange a en réalité un nom qui est la " novélisation" et à laquelle se réfère explicitement le narrateur principal du roman Jimmy Steinway. Mais cette fiction littéraire n'est pas une simple traduction de l'œuvre cinématographique. Elle intègre, en effet, l'existence de cette dernière dans un dispositif de mise en abyme que je rencontrais pour la première fois. Jimmy Steinway, publicitaire de son état et un des personnages du film, raconte les évènements qui sont au cœur de celui-ci en tant qu'écrivain frustré auquel on a commandé cette novélisation. Cette configuration narrative amène ce protagoniste, à la fois, à dérouler l'intrigue qui a fait l'objet du film et à commenter régulièrement le fait que cette histoire a déjà fait l'objet de l'œuvre cinématographique. Voici ce qu'il dit lui-même à ce propos:

" Alors pourquoi transposer dans un roman un scénario de film, reconnu pour sa pertinence? Je dirai...pour l'amour de l'art. De l'expression libre. Pour saisir un pan de notre vie, de notre culture, et l'enrichir. Pour traduire, décoder les épisodes que nous avons vécus et, sinon pour se les approprier, du moins pour en préserver la mémoire écrite."

   Il s'agit du portrait d'un groupe qui fait émerger celui d'une génération, celle des yuppies, ces young urban professionals qui ont vu leurs vies d'adulte coïncider avec l'avènement du disco dans les boîtes de nuit. Charlotte et Alice, jeunes assistantes éditoriales dans une maison d'édition, Dez, le gérant du Club où tous veulent avoir leurs entrées, Josh, le procureur débutant et Tom, l'avocat d'affaires idéaliste, font partie de cet ensemble new-yorkais qui trébuche, s'interroge et s'aime. Il y a beaucoup d'humour dans cette peinture mais aucune ironie, juste la sincérité et la distanciation qu'implique un retour vers une époque à jamais révolue.

Je termine mon épisode en vous laissant visionner un extrait du film que l'on retrouve in extenso dans le livre et qui nous fait voir autrement le dessin animé La belle et le clochard.



Voici l'extrait traduit en français provenant du roman:

- A l'université je me souviens avoir vu des couples avec des bébés qui braillaient, je trouvais ça horrible, se remémorait-elle. Dernièrement, j'ai passé beaucoup de temps avec ma nièce et mon neveu. Et samedi j'ai emmené la petite, qui a sept ans, voir le film de Disney, La belle et le clochard. Elle a adoré, elle était tellement mignonne.
   Elle me jeta un coup d'œil.
- Finalement, l'idée d'avoir des enfants ne me déplaît pas du tout, conclut-elle.
   Sans rien dire, j'avalai une grande gorgée de whisky.
- Je déteste ce film, dit Alice d'un ton neutre.
- Quoi? s'exclama Charlotte.
- C'est d'une niaiserie... et en plus c'est déprimant.
- Ce film ravissant avec ces chiens si mignons...
   Charlotte, incrédule, balaya l'assistance du regard pour chercher du renfort.
- ... tu trouves ça déprimant?
-  Oui, ça a un côté déprimant, et cela ne concerne pas vraiment les chiens, intervint Josh, défendant le point de vue d'Alice depuis la partie opposée du box. A part quelques ouaf-ouaf superficiels au début, les chiens représentent tous des types humains différents, d'où le problème. Belle, qui est évidemment l'héroïne, est une épagneule blonde et vaporeuse qui n'a absolument rien dans la tête. Jolie, certes, mais pour être honnête, totalement insipide. (...)
Clochard, l'objet du désir, continua t-il, est un poseur obséquieux de la pire espèce, un horrible récidiviste qui ne pense qu'à tirer un coup avec tout ce qu'il trouve...





lundi 30 mai 2016

Retour fantastique



  Episode 2 de ma série relative aux réceptions transartistiques autour de l’exposition Fantastique ! L’estampe visionnaire : De Goya à Redon qui s’est tenue au Petit Palais du 1ier octobre 2015 au 17 janvier 2016.
 
 
   Je parle à nouveau de caractère transartistique car cette exposition nous donne à voir les correspondances qui ont pu exister entre des œuvres graphiques et des œuvres littéraires emblématiques du fantastique au XIXe siècle. Pour reprendre les termes de Roger Caillois qui a beaucoup écrit sur la fantastique, ce qui relierait ces deux domaines artistiques serait « tout ce qui, d'une manière ou d'une autre, s'éloigne de la reproduction photographique du réel, c'est-à-dire toute fantaisie, toute stylisation et, il va de soi, l'imaginaire dans son ensemble ».  
 
   Dans les estampes présentées, l’imagination des artistes se déploie bien devant nos yeux ébaubis nous présentant édifices, paysages, scènes et créatures, constituant autant de ruptures d’un ordre établi, mais elles ont souvent une source textuelle : qu’elle soit classique comme l’inspiration biblique dans Le bon samaritain de Rodolphe Bresdin ou contemporaine de la production de l’artiste comme dans les œuvres d’Odilon Redon qui s’inspirent de celles d’Edgar Allan Poe ou de Baudelaire.
 
Le Bon samaritain, Rodolphe Bresdin
 
 
 
Dans un mouvement inverse, la série des estampes Carceri ( Prisons ) de Giovanni Battista Piranesi féconde l’imaginaire sous opium des écrivains anglais Coleridge et Thomas De Quincey.
 
Le Pont-levis des Carceri de Piranesi
 
 
 Plus généralement, le romantisme, qui a impulsé le fantastique, contrant l’ordre rationnel classique, fournit des sujets d'estampes tels la ballade du poète allemand Gottfried August Bürger Léonore pour le peintre Louis Boulanger.
 
Léonore, Louis Boulanger
 
 
Cette exposition réussit à nous montrer que la correspondance des arts prônée par Théophile Gautier fut bel et bien réalisée durant cet âge d'or.
 
 

mercredi 25 mai 2016

Parodille: Boulevard de Belleville

 


Parodie sous forme de pastille de La Perspective Nevski de Gogol.


   Placé au carrefour du boulevard et de la rue de Belleville, l’observateur pouvait contempler la vague humaine sortant de la station de métro se déverser dans les flots de la foule piétinant le bitume du célèbre lieu-dit de Paris. Deux groupes de gens se faisaient alors face avant de fusionner : celui des personnes à l’air découragé ayant travaillé toute la journée et celui des personnes à la mine réjouie s'étant livré à quelque filouterie. Dans ce piétinement continuel, tous retrouvaient leur rôle habituel. Le regard du guetteur s'était posé sur deux personnages, deux amis, deux colocataires d'un logement des hauteurs de Belleville, Alex Saxon et Pierre Copère qui discutaillaient à la terrasse d'un café. L'un musicien, multi-instrumentiste ( guitare, piano, violon, trompette, flûte traversière, cithare) et poète donnait des cours de musique à domicile; l'autre, consultant passionné dans une grande entreprise transnationale, filait de mission en mission réussies.

- Je suis sur le point de réussir à trouver la pureté de l'inspiration qui a inspiré Schonberg, qui a élevé Messiaen... J'étais sur le point de m'endormir quand ça m'a frappé Pierre. Tu ne peux pas savoir, j'en ai été ébloui.

- Hey, mec, tu parles comme le finaliste de l'année dernière de La nouvelle étoile . Ce que tu dis ça me rappelle que c'est la finale de l'émission ce soir. Mais on devrait plutôt faire autre chose ce soir. Tu vois...

- Il faut que je mette de l'ordre dans les idées qui me sont venues.

- T'es un artiste ou pas? T'es pas censé aimer la bringue, la biture, la dope comme ces types, celui qui a écrit Paris est un festin, euh Heminway et Beigbeder, je l'adore ce type. Regarde toutes ces nanas qui passent. Enfin, celle-là, c'est tout à fait mon genre.

Il désignait une petite blonde potelée au visage de poupée en porcelaine. Le regard d'Alex était tombé, lui, sur la silhouette exotique et délicate d'une jeune femme à la peau laiteuse et aux longs cheveux noirs soyeux. Pierre avait remarqué le changement qui s'était opéré chez son ami.

- Ha, ha, je vois que tu n'es plus aussi inspiré par la musique... Mais vas y, mon gars, vas y, demande lui son numéro.

   Sans véritablement pouvoir déterminer la raison qui le faisait agir ainsi, il la suivit à travers les rues montantes de Belleville, ne voyant plus les devantures débordantes, n'entendant plus le brouhaha continuel, il marchait le sourire aux lèvres. Une musique de Chet Baker lui trottait dans la tête.
   Elle s'engouffra dans un vieil immeuble qu'il trouva tout à fait pittoresque, charmant, n'est-ce pas joli ici se dit-il. Il monta les escaliers derrière elle. Arrivé au sixième étage, il lui dit essoufflé: Je voudrais vous... Elle se retourna alors brusquement vers lui et lui répondit:

- Vous n'êtes pas le premier inutile d'insister, je ne suis pas une pute, c'est pas parce que je vis à Belleville que j'en suis une. Vous allez vous barrer sinon j'appelle les flics.

   Il n'eut pas le temps de répondre que la porte avait déjà claqué devant lui. Il s'en approcha et entendit: encore un, en plus, celui-là je crois c'était un vrai taré. Faut vraiment que je déménage, que je décroche un rôle dans une série, parce que là... J'ai un casting chez un producteur la semaine pro...

   Il descendit lentement les escaliers et se souvint tout à coup que la chanson de Chet Baker qui l'avait accompagné était My Funny Valentine. Il était deux heures du matin et il n'avait rien fait de ses grandes idées comme les jours précédents.

lundi 16 mai 2016

Tissages d'artistes: Double Je



Episode 1 de la série des réceptions transartistiques.


   Je débute une série d’entrées dans ce blog sur les réceptions transartistiques. Par réception transartistique , je me réfère, pour cet épisode, non pas au processus dynamique qui concrétise une œuvre d’un âge à un autre en modifiant ses valeurs et son sens mais à celui qui transforme une œuvre d’un art particulier en une réalisation d’un autre art dans un cadre contemporain. Je m'intéresserai avant tout aux interrelations entre la littérature et les autres arts.

   Paraît participer à ce mouvement l’exposition Double Je au Palais de Tokyo qui vient juste de s’achever. Jeux entre littérature, arts et artisanats. Projet transartistique contemporain. Ce sont, en effet, les qualificatifs qui me viennent à l’esprit pour décrire cette exposition. Autour de la nouvelle policière de Franck Thilliez mettant en scène l’énigme du meurtre de l’artiste Natan de Galois se déploient des travaux d’artisans d’art et d’artistes contemporains.
   Concrètement, au niveau de la scénographie, à chaque salle, correspond un chapitre de l’histoire. Dans ces lieux, les objets présents sont tous le fruit d’une collaboration entre un artiste et un artisan d’art qui se sont emparés de l’univers représenté dans le récit. Ce qui m’a particulièrement intéressée est la transposition qui s’est opérée d’un art à un autre : une motif littéraire engendrant des matérialisations artistiques. Il y a, semble-t-il, changement de mode : de l’immatériel au matériel mais le sens n’est pas altéré.
    La seule incohérence de cette transposition transartistique se trouve au niveau de la dernière salle  "Cinéma ". Celle-ci comporte trois installations, donnant à voir les rencontres fortuites d’étendoirs à linge et de bustes en plastique voire des premiers avec une télévision que j’ai eu du mal à relier avec l’intrigue policière. Sont également diffusés dans cet endroit des reportages sur la collaboration entre les artisans et les artistes ainsi qu’un court-métrage inspiré par l’histoire.


  
En dehors de cette incongruité, il m’a semblé qu’il s’agissait d’une réception transartistique efficace. Les lecteurs de la nouvelle de Thilliez qu’ont été les artisans et les artistes contemporains se sont emparés de certains de ses éléments pour leur donner une incarnation. La plupart du temps, cette appropriation concerne des objets mentionnés dans la nouvelle comme la moto ou la voiture ou le dispositif d’impression 3D, dont la modélisation est commandée par la voix.





 Mais elle porte aussi sur l’atmosphère que dégage le récit et la personnalité des personnages que rendent respectivement les éclairages des différents lieux et, à nouveau, certains objets tels les livres choisis.




  La transposition de la nouvelle dans son ensemble laisse portant a priori une impression générale de décors de cinéma qui auraient été élaborés par un réalisateur soucieux du moindre détail, en l’occurrence ici le scénographe ou le commissaire d’exposition. La réussite tient à ce que chaque élément de ce « décor » véhicule la vision de l’histoire de l'artisan d’art et/ou de l'artiste qui l'a conçu et se conjugue avec les autres visions artistiques au service de celle de l’écrivain.

   Pour parler de la nouvelle de Franck Thilliez en elle-même, elle met en scène de façon habile un motif littéraire bien connu dans la littérature fantastique celui du double qui se combine avec celui des affres de la création dans une mise en abyme rondement menée. J'ai trouvé que c'était une intéressante variation et une singulière expérience artistique.

 


lundi 9 mai 2016

Rien: conte étrange




Parodie de  Zéro et de Tout, contes fantastiques de Balzac.

 
Elle était née- par césarienne, elle n’avait pas causé de douleurs à sa mère.
Elle était devenue athée- elle avait pu choisir entre le protestantisme, le catholicisme, l’islamisme, le bouddhisme, le végétarisme.
Elle avait grandi sous les néons- elle baignait dans la lumière bleue de la télévision et de son ordinateur cinq heures par jour.
Elle avait connu une séparation amoureuse à vingt ans- elle avait envoyé son message par email.
Elle avait connu une autre séparation amoureuse à trente ans- elle avait envoyé son message par sms.
Elle avait acquis son indépendance- elle avait fini de rembourser le crédit étudiant pour son école de commerce.
Elle s’était mise à la photographie et au cinéma- elle avait ouvert un compte Instagram.
Elle avait décidé d’écrire- elle participait à des ateliers d'écriture et avait créé un blog.
Elle voulait s’engager- elle avait acheté un appartement avec son compagnon et partageait des pétitions sur Facebook.

C’était la génération Y, grisonnant déjà dans certains de ses membres, se dirigeant vers sa tombe le casque aux oreilles et les mains collées au portable.


dimanche 10 janvier 2016

Châtillon revisité



Je reviens une fois encore à Châtillon
Marche sur l'avenue Clément Perrère
Les bus en direction de Châtenay-Malabry me dépassent
Les bric-à-brac crachés des maisons voisines bourgeonnent lors d'une brocante
Sur un banc, les peaux sombres d'une mère et son enfant étincèlent
Deux capuches auréolées de fausse fourrure s'étreignent
Un corbeau nargue un chat noir
Un groupe de collégiens rentre lourdement dans le stade
Le jaune fluo des gilets d'ouvriers d'un chantier bave sous la pluie
La pancarte de la laverie starlight scintille
Les packs de Kronenbourg portés par deux jeunes hommes s'entrechoquent
Près de Notre-Dame du Calvaire
Je vais prendre l'allée bordée de lys rejoindre la rue de fauvettes
Où se niche la clinique que j'ai tant de fois visitée.