dimanche 17 juillet 2016

De mon toit



J'entame une série estivale sur un personnage qui avait fait son apparition dans ma vie il y a trois ans à l'occasion d'un scénario de micro-métrage que j'avais rédigé pour un atelier cinéma. Voici ce qu'il a à vous dire.




Le jour se lève. Une brume légère recouvre tous les bâtiments. Seuls émergent les bulbes meringués du Sacré-Cœur, l’Arc de Triomphe qui rayonne comme un astre et les arabesques bleues du Centre Pompidou. Ce panorama se déploie devant moi du toit de mon immeuble de l’avenue Georges Bernanos. J’aime toujours commencer ma journée en observant ma ville, Paris. J’y suis né, j’y vis, j’y mourrais. Enfin, j’espère que la dernière hypothèse ne se réalisera que dans un futur le plus lointain possible. Il faut dire que je suis encore jeune, enfin je crois bien, parce que je ne connais pas mon âge. Mais j’ai encore mes parents ce qui tendrait à prouver que je ne suis pas si vieux que ça non plus. Quand je descendrai dans la rue tout à l’heure, je demanderai peut-être aux autres quel âge ils me donnent. Si ça se passe comme d’habitude, je pense qu’ils n’auront pas le temps de m’écouter. Le plus souvent, ils sont trop occupés à picorer ou à se précipiter sur de la nourriture dès que l’un d’eux en a trouvé. Je devrais peut-être poser directement la question à mes parents qui nichent dans la verrière de la station de métro Corvisart. Ils y habitent depuis très longtemps. Mais je ne sais pas exactement depuis quand ; on n’a pas vraiment la notion du temps dans la famille.
Il faut juste qu’ils ne soient pas partis rejoindre leurs amis qui nichent sur le rebord d’un des immeubles en face de la prison de la santé ; ils y vont une fois par semaine. Un passant, pas trop pressé, en levant la tête, pourrait voir une rangée de pigeons gris et noir, hirsutes, serrés les uns contre les autres. Ils se racontent sans doute des histoires de leur pays natal. Parce que je suis né à Paris mais mes parents sont nés ailleurs. Ils ont longtemps voyagé avant d’arriver ici, traversé une mer, erré à travers quelques villes et, dans l’une d’elles, se sont rencontrés pour ne plus se quitter. Ils n’ont pas une très bonne mémoire des noms de lieux. Ils ne leur reste le plus souvent que des souvenirs physiques : leurs ailes endolories, leurs gosiers asséchés, leurs cous meurtris par la grêle, à la fin du vol le plus long de leur vie. Leurs plumes frissonnent et leurs becs s’entrechoquent encore lorsqu’ils m’en parlent. Je peux leur parler à mes parents. Je veux dire je peux vraiment leur parler. Je peux leur parler comme vous, et par vous, j’entends les humains. Mes parents m’ont dit qu’ils avaient appris ce langage chez une vieille dame qui les avait recueillis. Mais ils m’ont avoué que cela leur avait causé, mine de rien, bien des soucis. Ils me l’ont quand même enseigné parce qu’ils pensaient que cela pourrait peut-être me servir plus tard mais j’avais intérêt à ne pas trop l’ébruiter auprès de mes congénères qui pourraient en être jaloux. Je crois qu’ils avaient eux-mêmes trop soufferts de cette connaissance. Enfin, surtout ma mère qui avait soif d’éducation ; mon père s’en servait surtout pour obtenir de la nourriture de la part des humains. Il réussissait à nous ramener une variété de mets incroyable. Pas qu’une sorte de pain, des biscuits, des biscottes mais aussi des pâtisseries. C’est là que je me suis rendu compte de mes préférences alimentaires. Les gâteaux. Des miettes d’éclair, de mille-feuille, de tarte aux poires ou aux pommes, de baba, de pain d’épices, de moelleux au chocolat. J’étais ce que les humains appellent un bec sucré. Mes parents m’ont appelé Pie parce que, selon eux, prononcé en français, c’est un diminutif de pigeon et, pour ceux qui connaissent l’anglais, ça désigne un gâteau ou une tourte.


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