mercredi 25 mai 2016

Parodille: Boulevard de Belleville

 


Parodie sous forme de pastille de La Perspective Nevski de Gogol.


   Placé au carrefour du boulevard et de la rue de Belleville, l’observateur pouvait contempler la vague humaine sortant de la station de métro se déverser dans les flots de la foule piétinant le bitume du célèbre lieu-dit de Paris. Deux groupes de gens se faisaient alors face avant de fusionner : celui des personnes à l’air découragé ayant travaillé toute la journée et celui des personnes à la mine réjouie s'étant livré à quelque filouterie. Dans ce piétinement continuel, tous retrouvaient leur rôle habituel. Le regard du guetteur s'était posé sur deux personnages, deux amis, deux colocataires d'un logement des hauteurs de Belleville, Alex Saxon et Pierre Copère qui discutaillaient à la terrasse d'un café. L'un musicien, multi-instrumentiste ( guitare, piano, violon, trompette, flûte traversière, cithare) et poète donnait des cours de musique à domicile; l'autre, consultant passionné dans une grande entreprise transnationale, filait de mission en mission réussies.

- Je suis sur le point de réussir à trouver la pureté de l'inspiration qui a inspiré Schonberg, qui a élevé Messiaen... J'étais sur le point de m'endormir quand ça m'a frappé Pierre. Tu ne peux pas savoir, j'en ai été ébloui.

- Hey, mec, tu parles comme le finaliste de l'année dernière de La nouvelle étoile . Ce que tu dis ça me rappelle que c'est la finale de l'émission ce soir. Mais on devrait plutôt faire autre chose ce soir. Tu vois...

- Il faut que je mette de l'ordre dans les idées qui me sont venues.

- T'es un artiste ou pas? T'es pas censé aimer la bringue, la biture, la dope comme ces types, celui qui a écrit Paris est un festin, euh Heminway et Beigbeder, je l'adore ce type. Regarde toutes ces nanas qui passent. Enfin, celle-là, c'est tout à fait mon genre.

Il désignait une petite blonde potelée au visage de poupée en porcelaine. Le regard d'Alex était tombé, lui, sur la silhouette exotique et délicate d'une jeune femme à la peau laiteuse et aux longs cheveux noirs soyeux. Pierre avait remarqué le changement qui s'était opéré chez son ami.

- Ha, ha, je vois que tu n'es plus aussi inspiré par la musique... Mais vas y, mon gars, vas y, demande lui son numéro.

   Sans véritablement pouvoir déterminer la raison qui le faisait agir ainsi, il la suivit à travers les rues montantes de Belleville, ne voyant plus les devantures débordantes, n'entendant plus le brouhaha continuel, il marchait le sourire aux lèvres. Une musique de Chet Baker lui trottait dans la tête.
   Elle s'engouffra dans un vieil immeuble qu'il trouva tout à fait pittoresque, charmant, n'est-ce pas joli ici se dit-il. Il monta les escaliers derrière elle. Arrivé au sixième étage, il lui dit essoufflé: Je voudrais vous... Elle se retourna alors brusquement vers lui et lui répondit:

- Vous n'êtes pas le premier inutile d'insister, je ne suis pas une pute, c'est pas parce que je vis à Belleville que j'en suis une. Vous allez vous barrer sinon j'appelle les flics.

   Il n'eut pas le temps de répondre que la porte avait déjà claqué devant lui. Il s'en approcha et entendit: encore un, en plus, celui-là je crois c'était un vrai taré. Faut vraiment que je déménage, que je décroche un rôle dans une série, parce que là... J'ai un casting chez un producteur la semaine pro...

   Il descendit lentement les escaliers et se souvint tout à coup que la chanson de Chet Baker qui l'avait accompagné était My Funny Valentine. Il était deux heures du matin et il n'avait rien fait de ses grandes idées comme les jours précédents.

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